Depuis plusieurs années, nous assistons à l’émergence d’une multitude de nouveaux produits dans la catégorie des biosolutions (agents de biocontrôle, biostimulant, substance de base, …), bouleversant un marché en pleine mutation. Cependant, ce marché peine à poursuivre sa progression et à convaincre les conseillers agricoles surtout en France et plus largement en Europe.
Beaucoup pointent du doigt un manque de résultats ou des essais qui ne révèlent pas d’efficacité dans les contextes expérimentaux proche des conditions terrains.
Une question se pose alors : est-ce le produit qui est en cause, ou la méthode d’évaluation inadapté ?
Prenons l’exemple des termes souvent employés dans les comptes rendus d’essais avec « aucune différence significative », « pas d’intérêt agronomique noté » ou encore « le témoin est la meilleure modalité » qui reviennent fréquemment.
Cela soulève des interrogations sur la performance des produits testés. alors même que les sociétés privées portant ces produits investissent des centaines de milliers d’euros dans des dossiers d’homologation ou des outils industriels pour le développement. À ce jour, aucunes structures consacreraient autant de ressources à des projets qui ne fonctionnent pas.
Par conséquent, la question naturelle à se poser est celle de la revendication et de l’objectif de la solution ? Plutôt que de se contenter des résultats bruts, il est essentiel d’examiner ce que l’on cherche réellement à démontrer et comment les expérimentations sont conçues et exécutées pour valider l’efficacité des produits.
La Méthodologie d’Expérimentation : Est-elle adaptée ?
Souvent héritée d’une approche phytosanitaire, la méthodologie actuelle exige la présence d’un témoin non traité du début à la fin. Cette exigence suscite quelques questions dans le cas des produits de biocontrôle, puisque la présence continue d’une pression fongique provenant du témoin contaminé peut compromettre les résultats à long terme et occulter des effets moins directs.
En effet, les modes d’action des produits de biocontrôle sont conçus pour freiner ou gérer une pression. Avec une pression constante, rarement observée chez les agriculteurs, nous n’atteindrons jamais 100 % d’efficacité, contrairement aux anciennes molécules plus puissantes, rémanentes, et surtout sans autres leviers.
La puissance de l’essai est également importante pour obtenir une significativité. Trois répétitions sont souvent insuffisantes pour produire des résultats exploitables. De plus en plus d’experts dans les biosolutions soulignent la nécessité d’abaisser le niveau de significativité. Initialement fixé à 95 %, ils s’accordent à dire que rechercher 80 % de significativité représente déjà une opportunité agronomique à ne pas laisser passer.
Actuellement, certains grands groupes internationaux intègrent déjà des changements de pratiques dans leurs méthodes d’expérimentation pour mettre en évidence de nouveaux biocontrôles.
Comparer ce qui est comparable !
Trop souvent, les expérimentations mettent en place des essais qui comparent des spécialités commerciales avec des objectifs similaires, mais dont les modes d’action et les conditions d’emploi sont différents. Il faut aller au-delà de la revendication commerciale portée par les firmes et remettre l’agronomie au centre du jeux.
Pour une évaluation juste et pertinente des biosolutions, il est crucial de comparer des situations et produits comparables. Cela implique de prendre en compte les caractéristiques spécifiques des produits testés :
- Mode d’action : Les biosolutions et biocontrôles peuvent avoir des modes d’action spécifiques qui nécessitent des conditions expérimentales adaptées. Un produit de contact n’aura pas les mêmes effets qu’un produit à action systémique, surtout face à des modalités de référence chimiques combinant systémie et contact. Souvent, j’observe des essais comparant des engrais, des amendements, des structurateurs de sol avec des biostimulants, simplement parce que les fiches commerciales revendiquent des augmentations de rendement. Les objectifs sont différents et les conditions d’expression également.
- Juste positionnement : L’efficacité des biosolutions dépend davantage du contexte environnemental immédiat que d’une planification à long terme. Trop souvent, les applications sont réalisées selon un calendrier prédéfini, une stratégie héritée des programmes conventionnels, de l’organisation du travail et de la massification des tâches. La notion de plage d’utilisation spécifique est encore peu explorée, car elle nécessite une organisation différente. Pourtant, c’est une clé essentielle pour des expérimentations visant à mettre en évidence un effet. Il est souvent constaté que les expérimentations sont menées de manière à mettre en défaut un produit qui fonctionne sur le terrain, une approche regrettable car elle ne reflète pas la réalité du terrain.
- Notations intermédiaires : Il est nécessaire d’observer les effets immédiats afin d’éviter les biais liés à la durée de l’essai. Les biocontrôles, tout comme les biosolutions, ne possèdent pas la même rémanence que les produits conventionnels. Selon le mode d’action, les notations doivent être centrées sur des critères précis et mesurables. Dans certaines expériences, des essais sur des micro-organismes bénéfiques pour le développement racinaire ont parfois été critiqués pour leur manque de signification après 12 mois de culture. Cependant, aucune observation n’avait été réalisée dans les 4 à 6 semaines suivant l’apport, ni au niveau racinaire, ni sur l’assimilation des éléments ou la dynamique foliaire. Les effets des biosolutions sont souvent indirects (contournement, désorientation, perturbation d’oviposition). Un biocontrôle peut également agir en tant qu’antagoniste d’un bioagresseur ou induire une inappétence difficile à détecter. Il est donc nécessaire de se doter de moyens supplémentaires pour valider ou non une efficacité, ou de se référer à des données scientifiques où ces moyens ont déjà été mis en place.
- Tester seul ou en combinaison : La question de l’association des produits devient de plus en plus pertinente. Par exemple, certains produits à base de micro-organismes, appliqués seuls, montrent une efficacité limitée ou des résultats très irréguliers. Pourtant, il est bien établi scientifiquement qu’associer un micro-organisme à des prébiotiques de sol peut améliorer son efficacité et permettre de mieux mettre en évidence ses effets. Dans ce contexte, il ne revient pas toujours à la firme de recommander une association, mais à l’ingénieur, qui est mieux placé qu’un commercial pour chercher à démontrer un effet
Dimensionnement de l’essai
Les essais variétaux, qui rythment les saisons, nous ont habitués à une structuration et à un dimensionnement expérimental bien ordonnés, randomisés, et de taille permettant de multiplier les modalités sur un espace réduit. Cependant, ces méthodes peuvent induire des biais que l’on sous-estime souvent, hérités des pratiques traditionnelles.
Les essais en randomisation totale, dispositifs en « blocs », carrés latins, et dispositifs de Fisher sont couramment utilisés et montrent de plus en plus leur limite pour les biosolutions. Les essais en grandes bandes ou en dispositifs agriculteurs sont souvent décriés, alors qu’ils sont plus faciles à mettre en place et permettent d’obtenir une puissance statistique parfois plus facile à atteindre. Ces dispositifs sont plus largement utilisés à l’étranger, alors pourquoi pas en France ? Le principal obstacle est probablement la capacité à tester un grand nombre de modalités ou même à suivre ces essais sur le terrain.
La question se pose alors de privilégier la quantité ou la qualité. Comparons des éléments factuels, résultant de l’expérience. Prenons l’exemple des mycorhizes, que beaucoup commencent à connaître et qui sont connus pour leurs intérêts agronomiques depuis plus de 40 ans. Lors d’expérimentations traditionnelles, il était difficile de démontrer de manière significative une augmentation de rendement ou une meilleure tubérisation. Problème de puissance d’essai, difficulté avec les matériels d’application (agitation, conservation). Pourtant, en Europe ou au Canada, des essais en grandes bandes chez des agriculteurs, menés en partenariat avec des universités, ont démontré sur plus de 250 parcelles une significativité élevée. Qui a raison ?
Ce retour d’expérience souligne que pour démontrer un effet de biostimulant les essais à plus grande échelle, bien qu’ils testent moins de modalités, peuvent offrir des résultats plus robustes et pertinents dans un contexte agronomique réel.
Pour ceux qui veulent démontrer l’efficacité des biosolutions
Les biosolutions représentent une avancée significative pour l’agriculture, promettant des avantages environnementaux et agronomiques. Cependant, leur adoption est entravée par des méthodologies expérimentales souvent inadaptées qui ne parviennent pas à démontrer leur efficacité.
Les méthodes d’évaluation classiques, héritées des pratiques phytosanitaires, comme l’usage de témoins non traités ou des dispositifs expérimentaux traditionnels, ne conviennent pas toujours aux biosolutions et biocontrôles. Ces produits, conçus pour gérer plutôt que supprimer complètement les pressions, nécessitent des approches d’évaluation plus adaptées et contextualisées.
Pour évaluer correctement les biosolutions, il est crucial de « comparer des situations comparables » et d’adopter des méthodes expérimentales qui reflètent les modes d’action spécifiques des produits. Les essais en grandes bandes et l’association de produits peuvent offrir une vision plus réaliste de leur efficacité dans des conditions agronomiques réelles.
Pour que les biosolutions réalisent leur potentiel et convainquent les conseillers agricoles, il faut adapter nos approches expérimentales, comparer justement, et intégrer des pratiques innovantes dans les essais. Cette évolution méthodologique est essentielle pour valider l’efficacité des biosolutions et favoriser leur adoption dans l’agriculture moderne.