L’importance des champignons mycorhiziens en agriculture n’est plus à prouver. Les mycorhizes sont des champignons symbiotiques qui établissent une relation d’échange avec les plantes via leurs racines. Ces champignons améliorent l’absorption de l’eau et des nutriments, en particulier le phosphore, et concernent une grande partie des végétaux sur Terre. En retour, les plantes fournissent aux champignons les sucres issus de la photosynthèse nécessaires à leur développement.
À travers cet article, je souhaite contribuer au débat qui anime de nombreux agronomes : faut-il privilégier les souches endémiques ou utiliser un inoculum commercial pour dynamiser les cultures ?
Un intérêt pour la plante mais aussi pour le sol
Le principal objectif de cette symbiose mycorhizienne est de renforcer la croissance des plantes, d’améliorer leur résistance aux stress abiotiques tels que la sécheresse, et de réduire les besoins en engrais. Plus nous progressons dans la compréhension de l’écosystème du sol, plus nous découvrons le rôle crucial des mycorhizes dans la structuration des sols et la communication entre les plantes. À l’image d’un réseau ferré ou d’une fibre optique, les filaments fongiques stabilisent les agrégats du sol, améliorant ainsi la porosité, la rétention d’eau et la circulation de l’air.
Peu de gens le savent, mais les mycorhizes sécrètent de la glomaline, une molécule agissant comme une colle, contribuant à ces effets bénéfiques. Ces aspects sont vitaux pour maintenir des sols fertiles, réduire l’érosion, et favoriser une agriculture durable reposant sur le concept de sol vivant.
Facteurs agronomiques favorisant ou affectant les mycorhizes
Plusieurs pratiques agricoles influencent la présence et l’efficacité des champignons mycorhiziens dans le sol.
Pratiques favorables :
- Réduction du travail du sol : Le non-labour ou le travail minimal préservent la structuration du sol et par incidence les réseaux mycorhiziens, permettant une colonisation continue des racines des plantes et améliore leur survie entre les saisons.
- Rotation des cultures et couvertures végétales : Maintenir une activité photosynthétique en place, une diversité végétale ou préserver un système racinaire en place participent à maintenir différentes espèces de mycorhizes, favorisant leur développement et leur résilience.
- Apport de matière organique : La matière organique enrichit le sol et nourrit les champignons, rendant les nutriments plus facilement disponibles, ce qui confère aux mycorhizes un rôle crucial dans leur absorption.
Pratiques néfastes :
- Labour fréquent, trop profond ou en mauvaises conditions : Cette pratique perturbe les réseaux fongiques et réduit la capacité des mycorhizes à coloniser les plantes.
- Utilisation excessive d’engrais minéraux simples : En particulier les engrais phosphatés, qui rendent les plantes moins dépendantes des mycorhizes, ralentissant ainsi l’établissement de cette symbiose, notamment en début de cycle.
- Sols nus : L’absence de végétation sur de longues périodes diminue les populations mycorhiziennes, car ces champignons dépendent des racines vivantes pour se nourrir. Le maintien d’une végétation active, réalisant la photosynthèse, est indispensable à la dynamique mycorhizienne. En cas de rupture, les champignons entrent en phase de survie (hyphes et spores) en attendant des conditions favorables et la présence de racines. Plus cette période est longue, plus leur capacité à relancer une symbiose diminue.
Biomasse et diversité mycorhizienne : deux indicateurs complémentaires
Pour évaluer l’état des mycorhizes dans un sol, la biomasse et la diversité des espèces mycorhiziennes sont deux indicateurs souvent utilisés. De plus en plus d’entreprises proposent leurs services pour quantifier et analyser ces populations. Comme pour les analyses de sol, ce type d’analyse doit être effectué à des moments propices et selon un protocole clairement établi.
La population mycorhizienne évolue au cours de la saison selon la dynamique des plantes et les conditions climatiques. On commence à identifier qu’au cours de sa vie, une plante peut interagir avec plusieurs souches et espèces différentes, qu’elle saura solliciter selon ses besoins. Il est donc primordial d’avoir une prise de recul pour réaliser ce type d’analyse et surtout lors des interprétations.
Biomasse mycorhizienne : Cet indicateur mesure la quantité totale de champignons présents dans le sol. Une forte biomasse peut indiquer une présence fongique significative, mais ne renseigne pas sur la diversité. Selon les cultures, cet indicateur seul ne permet pas de connaître l’intensité ou l’efficacité de la symbiose. Par exemple, une pomme de terre n’acceptera qu’une biomasse mycorhizienne faible autour de ses racines, mais cette biomasse sera bénéfique.
Diversité mycorhizienne : Cet indicateur mesure le nombre d’espèces de mycorhizes présentes et leur répartition. Cependant, toutes les espèces de mycorhizes ne sont pas bénéfiques ; certaines sont opportunistes et prélèvent plus d’énergie à la plante qu’elles ne lui en apportent. Il est donc crucial de bien choisir ses partenaires mycorhiziens. Une diversité élevée est généralement synonyme d’une meilleure résilience écologique. Dans un sol, il est essentiel d’être attentif aux populations présentes et de se faire accompagner pour mieux comprendre leur diversité. En ce qui concerne les produits commerciaux, les souches proposées sont souvent soutenues par des données scientifiques prouvant leur efficacité agronomique et les bénéfices attendus.
Individuellement, ces indicateurs ne fournissent pas une vue complète de la santé du sol. Cependant, leur analyse combinée peut offrir des informations précieuses sur la capacité du sol à soutenir une stratégie de production.
Favoriser les mycorhizes naturellement présents
Une fois le bilan de la parcelle établi, la question se pose : faut-il favoriser les mycorhizes naturellement présents ou introduire des souches spécifiques ?
Cela dépend du type de culture, des pratiques agricoles, et de vos objectifs.
- Pour les cultures pérennes, comme en arboriculture ou viticulture, ou celles évoluant dans des systèmes à faible perturbation du sol, il peut être pertinent de favoriser les mycorhizes naturellement présentes. L’apport de matière organique et l’intégration de couverts végétaux entre les rangs sont alors à privilégier, car ils agissent comme des prébiotiques pour le sol, apportant des bénéfices à l’ensemble de l’écosystème, dont les mycorhizes sont un maillon essentiel. Cette approche permet de s’appuyer sur les équilibres déjà existants au sein de l’écosystème.
- Pour les cultures annuelles, il y a plus de variations qui rendent incertains les types de mycorhizes dominants. La rotation des cultures apportera de la diversité plus que de la biomasse, car chaque culture favorisera, pendant sa durée de vie, une ou plusieurs espèces spécifiques. Dans ce cas, si le travail du sol est trop agressif, avec des périodes de sol nu trop longues ou mal gérées, tout le travail entrepri pour favoriser les mycorhizes sera impacté. Cependant, cette approche présente le risque que les mycorhizes présentes ne soient pas les plus adaptées aux besoins spécifiques des cultures installées, ou que leur rétablissement prenne trop de temps pour être compatible avec les exigences de production agricole.
Introduire des souches ou complexes mycorhiziens spécifiques : avantages et limites
L’introduction de souches mycorhiziennes spécifiques ou de complexes mycorhiziens peut être une alternative intéressante, notamment pour accélérer la mise en place de la symbiose mycorhizienne.
Cela est particulièrement pertinent dans les cultures annuelles, où le démarrage au printemps est stratégique et l’objectif de production élevé, comme pour les pommes de terre, les fraises ou les carottes. Cette approche permet de maîtriser les souches introduites et de cibler des effets agronomiques précis, comme l’amélioration de l’absorption du phosphore ou la résistance aux stress abiotiques.
Elle peut également être combinée avec d’autres biosolutions, telles que les biostimulants microbiens ou des agents de lutte biologique, pour maximiser les bénéfices agronomiques. En céréales, et particulièrement en blé dur qui a une dépendance mycorhizienne forte, les bénéfices sont facilement observables et quantifiables. De plus, dans les systèmes où le sol a été fortement perturbé, la diversité mycorhizienne est faible, l’introduction de souches spécifiques peut temporairement compenser les défaillances du sol en termes de biodiversité. Cela permet également de mieux contrôler la biodiversité mycorhizienne à court terme, en évitant l’apparition de champignons moins bénéfiques pour les cultures.
Votre système de culture est crucial comme votre objectif
Le choix entre favoriser les mycorhizes naturels ou introduire des souches spécifiques dépend des objectifs agronomiques, des conditions du sol et du type de culture.
Il est important de comprendre qu’une symbiose mycorhizienne efficace et durable se forme dès les premières étapes du cycle de vie de la plante. C’est pourquoi il est essentiel de favoriser l’établissement et l’activation de cette symbiose dès la germination, la plantation ou la reprise de la végétation. Une fois le cycle de culture bien entamé, il devient plus difficile pour la symbiose de s’installer.
Dans une démarche agroécologique, l’introduction de souches spécifiques constitue souvent la première étape du changement de pratiques culturales. Cela précède généralement une stratégie de préservation des sols et de simplification du travail du sol, qui requiert du temps et un ajustement progressif au niveau du sol. Une approche intégrée, prenant en compte les particularités de chaque situation, sera souvent la plus efficace pour assurer une agriculture durable et productive à long terme.
Ce qui est certain, c’est que les champignons mycorhiziens sont indispensables à la grande majorité des plantes, et il est impensable de concevoir une agriculture durable sans leur présence.
D.Cariou